Avant-propos du 20 mai 2013
Cherchant « Nietzsche et la liberté » sur Google, dans le cadre d’un nouvel article ; je suis tombé, à ma plus grande surprise, sur notre blog aphorismes !
Lorsque je relis cet article, écrit il y a quelques années, je ne peux m’empêcher de sourire devant ma cavalière naïveté. Citer ainsi, d’entrée de jeu, des Lettres à un jeune philosophe, traduisait bien un fait réel : j’ignorais ce qu’était la philosophie lorsque j’ai commencé à écrire mes articles !
Je mélangeais alors, pêle-mêle, du vécu personnel à des citations d’auteurs (issus de familles philosophiques bien différentes). On est bien loin des dissertations académiques d’agrégation auxquelles j’allais me livrer quelques années plus tard… D’ailleurs, je ne saurais trop renvoyer ceux qui voudraient découvrir réellement la pensée de Nietzsche à mes derniers articles.
Mais, qu’importe ! Au fond, cela ne retire nullement sa valeur à cette « pensée de la liberté » car elle a le charme de la jeunesse, et surtout sa fougue ! Seul un jeune esprit en pleine remise en cause de ses vérités et des valeurs peut faire preuve d’une telle virulence philosophique !
Bonne lecture
Julien
* * *
« La seule chose que nous puissions décider est quoi faire du temps qui nous est imparti. »
J.J.R Tolkien
Le Seigneur des Anneaux
Le RER est bondé. La chaleur m’écrase, l’air est suffoquant, les visages – figés comme des masques - dégoulinent autant de sueur que de grisaille. Me revoilà à Paris pour achever mon cycle d’études par un stage en entreprise. Cela me donne un avant goût de la vie dite étrangement « active » à propos de laquelle je n’entends que des poncifs nostalgiques et bien éculés de ceux qui craignent de perdre les (mauvaises) habitudes de leur vie étudiante. Pour ma part : un grand vide et un grand flou …
Bien que j’aie aimé Paris par le passé, aujourd’hui, et malgré ses charmes, cette ville m’écœure. Je ne peux m’empêcher de ressasser une seule interrogation : « que fais-je ici ? ». Qu’est-ce qui me pousse tous les matins dans cet enfer souterrain, et qui me retient éloigné de ceux que j’aime et avec qui j’aimerais être ? Suis-je obligé d’être là ? Ne suis-je pas libre de choisir ma vie ? Choisir ma vie c’est finalement décider « quoi faire » des soixante années qui me sont encore imparties. Suis-je libre d’en faire ce dont j’en ai envie ? Voilà comment, dans ce RER bondé, j’ai pensé à la liberté, cette utopie juvénile, et comment j’ai eu envie d’écrire cet article.
La liberté et le déterminisme
« Toute existence dessine une trajectoire, mais de cette trajectoire nous ne sommes pas le point d’origine. Chacun de nous a reçu une impulsion dans son enfance, dès sa naissance, et notre destin prend forme à partir de ce mouvement premier. »
Christophe Lamoure
Lettres à un jeune philosophe
Il y a, et on ne peut le nier, des déterminismes sociaux, géographiques, culturels, psychologiques ou familiaux qui font que nous ne sommes pas entièrement libres. Né en 1983, en banlieue parisienne, et de parents ingénieurs : voici une « impulsion », pour paraphraser Christophe Lamoure qui aujourd’hui encore influence beaucoup de mes faits et gestes.
Après l’« impulsion » l’enfance prend le relais et installe en nous une foule de déterminismes (Freud nous en a avertis). Puis vient l’âge adulte avec ce que j’appellerais la « détermination par autrui ». J’entends par là, le regard des autres qui influe sur nos comportements et en cela étouffe bien souvent notre liberté.
Toutefois, je me refuse à croire que nous soyons entièrement prédéterminés et je m’offusque devant les scientistes, les anthropologues, les psychologues, les sociologues, voire même les religieux ou quiconque qui soutient cette thèse. Finalement, même si elle ne concerne qu’une petite part de mes possibilités, j’ai une part de liberté et elle m’écrase sous son poids immense.
« L’homme est condamné à être libre. »
Sartre
L’existentialisme est un humanisme
Je ne connais aucun autre penseur qui s’est autant battu contre toute forme de détermination. Aussi, dans son extrémisme – qu’il serait benêt de dénoncer – Sartre, en décrétant notre liberté absolue et en posant toute la responsabilité sur nos épaules, a abouti à une philosophie de l’action. L’action contre l’indécision. L’indécision ce n’est pas ce laps de temps - plus ou moins long - qu’il est souvent bon de s’accorder avant de prendre une décision. C’est cet état dans lequel sombre celui qui refuse d’agir, de se battre.
« L’homme ne devient lui-même que lorsqu’il exprime avec décision, dans ses actes, où il veut aller. Nous avons tous à nous reconquérir sans cesse sur l’indécision. »
Karl Jaspers
Introduction à la philosophie
Lorsqu’il arrive que la vie nous place dans des « situations difficiles » (comme on dit), nous sommes souvent accablés sous le poids des responsabilités car c’est librement que nous choisissons quelle posture adopter (1). Finalement c’est dans ces moments « difficiles », et non dans les moments d’allégresse, que nous ressentons notre liberté. Paradoxe du langage courant. On dit souhaiter avoir du « temps libre », mais la liberté ne se confond pas avec l’oisiveté. La liberté n’est pas quelque chose de léger que l’on ne pourrait avoir que lorsqu’on la souhaite, elle est là partout et tout le temps. Elle est responsabilité dans l’action courageuse et refus de la lâcheté.
La liberté et la lâcheté
« Ne commettez point de lâcheté à l’égard de vos actions ! »
Nietzsche
Le Crépuscule des Idoles
Si la liberté n’est pas l’oisiveté, elle est encore moins la facticité anarchique. Être libre c’est s’affirmer avec responsabilité, non avec caprices. Un acte qui tombe dans le passé devient une chose opaque et absurde. Il faut sans cesse redonner du sens à nos actes passés, voici une façon de les assumer. En cela l’homme libre construit un projet et n’agit pas n’importe
comment.
« Qu’est-ce que la liberté ?
C’est la volonté de répondre de soi. »
Nietzsche
Le Crépuscule des Idoles
Le philosophe allemand, dans son style si particulier, ajoute à la liberté l’idée de force. Trop souvent bafoué, Nietzsche - décrit comme sombre, triste voire nihiliste par ceux qui ne l’ont sans doute jamais lu - prône au contraire la jouissance de la vie et invite au perpétuel dépassement de soi. Finalement accepter sa liberté demande du courage, demande d’être perpétuellement en position de force face à la vie. S’abattre, s’apitoyer, c’est refuser sa liberté. Je me sens libre car je me sens responsable de mes actes. Lorsque je laisse la vie décider pour moi, que je me déclare « non responsable » de ce qui se passe, alors je suis, la plupart du temps, faible et lâche.Etre libre c’est être fort, c’est oser agir en se justifiant, c’est oser « répondre de soi ».
A cela Nietzsche ajoute la notion de volonté qui, dans son vocabulaire, recouvre l’idée d’ordre. Pour le penseur Allemand, vouloir c’est commander, ordonner quelque chose. Etre libre c’est donc commander, et commander d’abord à soi-même, à son « Je ».
La Liberté et le « Je »
« Tout Je qui n’est pas voulu, travaillé par une puissance, taillé par une énergie, se constitue par faute avec tous les déterminismes qui prennent place. »
Michel Onfray
La puissance d’exister
Michel Onfray, penseur contemporain hédoniste (fortement influencé par Nietzsche) reprend à son compte cette idée de force qui façonne un homme libre et indépendant. Onfray dénonce toutes ces difficultés à être, à vivre, dont sont victimes nombre d’entre nous ainsi que trop d’enjeux personnels privés, trop de défaillances cachées, qui se dissimulent derrière de fausses déterminations (autre terme pour signifier les abnégations face à la vie). On retrouve la lutte entre la force du « je » et les déterminismes en tout genre avec comme enjeu la liberté. Je suis libre en tant que je peux empêcher un déterminisme de s’insérer au plus profond de moi.
« La journée avait passé comme toutes les journées passent ; je l’avais doucement assassinée avec mon espèce d’art de vivre timide et primitif … »
Hermann Hesse
Le Loup des Steppes
Avons-nous été habitués à accepter notre liberté ? Si oui, alors elle nous apportera cette force et comme dans un cercle vertueux, s’auto-entretiendra pour la vie entière. Dans le cas contraire, la renonciation, l’indécision ou toute autre forme de refus de notre liberté, finiront par engendrer un mépris de nous-mêmes. Croyez-en mon expérience personnelle !
Depuis trop longtemps, je suis la première victime de mon immobilisme. J’étouffe mes rêves, mes projets dans l’œuf. Pourquoi ? Est-ce mon éducation ou les vicissitudes de la vie qui ont fait de moi mon propre censeur ? Mais qui est ce « je » dressé pour m’étouffer ? Paralysé face à la vie, tétanisé par les « difficultés » de l’existence, je me refugie dans ce que Sartre avait coutume d’appeler dans la « mauvaise foi » (2). Mais quelles sont-elles ces difficultés ? Sont-elles justifiées ? La difficulté dépend de chacun car ce qui pourrait sembler insignifiant aux yeux de quelqu’un peut en écraser un autre sous un poids énorme et le paralyser. Il me semble qu’il ne faudrait jamais blâmer quelqu’un en lui reprochant de souffrir pour rien. Toute souffrance est justifiée pour celui qui souffre. Il arrive que mon désir franchisse la barrière et me fasse sortir de mon immobilisme pour de trop rares moments de jouissances furtives. Il m’arrive de me demander quelle serait ma vie si ce n’était plus seulement par moments mais d’une manière continue que j’acceptais ma liberté …
La liberté comme promesses que chacun se fait à soi-même, sorte de dialogue entre soi et soi. La liberté se vit en soi à chaque instant et en assassinant chaque jour qui passe, on finit par assassiner sa vie toute entière.
La liberté et la vie
« La moitié de la vie d’un homme se passe à sous-entendre, à détourner la tête et à se taire. »
Albert Camus
Le mythe de Sisyphe
Combien de fois avons-nous détourné la tête ? Combien de fois avons-nous dit que nous n’avions pas le choix ? Combien de fois agirons-nous encore résignés ? Camus ne vilipende pas la « mauvaise foi » avec autant d’ardeur que son contemporain Sartre, mais préfère témoigner du malheur de l’humanité : « les hommes meurent et ils ne sont pas heureux ».
« Chaque jour est précieux, un instant peut décider de tout »
Karl Jaspers
Introduction à la philosophie
Au final, lorsque l’on parle de la liberté, c’est la vie - la vie heureuse - qui est visée. Si la vie n’est rien d’autre qu’une suite de moments instantanés où il faut agir – ou ne pas agir – alors « chaque jour est précieux ». La liberté, n’est pas cette entité abstraite que l’on pourrait chercher à conceptualiser mais bien un art de vivre, alliant force et responsabilité. Bien souvent le regard trahit un homme. Insistant, ferme, décidé ou au contraire craintif, résigné, « bovin » pour paraphraser Emil M. Cioran, voilà qui en dit long sur l’acceptation ou non de la liberté.
Les projets libres se construisent au quotidien. La liberté est cet art de vivre qui se décline à chaque instant. Un simple sourire peut être signe de liberté. Un moment semblant complètement insignifiant peut bouleverser une existence. Voila pourquoi Karl Jaspers nous incite à n’être ni lâche ni trop léger face à ce qui nous arrive.
« La liberté apparaît toujours comme mouvement de libération »
Simone de Beauvoir
Pour une morale de l’ambigüité
Seul celui qui refuse sa liberté risque d’être en proie à la déception. Néanmoins accepter sa liberté ce n’est pas faire toujours ce que l’on souhaite car personne ne peut faire toujours ce dont il a envie. La liberté c’est ce mouvement en avant qui veut la liberté elle même, la liberté comme fin non comme moyen, ce « mouvement de libération ». Même s’il doit se résigner pendant une heure ou un an, l’homme libre n'est pas déçu car il sait que le « mouvement de libération » n’a pas été arrêté.
Notes :
(2) Sartre appelle « mauvaise foi » l’attitude de celui qui se cache sa liberté, s’abrite derrière un quelconque déterminisme pour ne pas avoir à assumer ses actes.
Crédits photos :
Dans l’ordre : Elise Hardy, Pierre-Yves Sulem, Monika Brand, Daniel Rocha, Jean-Baptiste Avril